“Engager une démarche de marketing relationnel revient à replacer le public au cœur.” Adrian Mohr

Adrian Mohr, fondateur de l’agence L’Oeil du public qui réalise des études pour le secteur culturel, intervenait lors de la Rencontre #17 autour du marketing. Il nous livre ses réflexions autour du marketing appliqué aux théâtres.

La question du marketing se pose plus que jamais comme une nécessité dans les lieux culturels. Alors que les opéras, les musées, certains grands festivals ou théâtres assument sans tabou leurs directions marketing, les théâtres publics considèrent souvent que le principe n’est pas approprié à la nature de leur mission. Pourtant, une approche articulée qui place les publics au cœur de sa démarche peut constituer un outil de management et de décision extrêmement utile, sans contradiction avec les valeurs qui fondent la mission de service public.

Un premier objectif simple concerne tout type de lieu: la nécessité de connaitre objectivement qui sont ses publics. Un second objectif sera ensuite de construire une politique relationnelle avec eux, d’entretenir et de valoriser cette relation. Pour ce, il s’agit donc dans un premier temps de mieux comprendre et intégrer quels sont leurs profils de spectateurs, leurs comportements, leurs perceptions et leurs attentes vis-à-vis de l’offre culturelle qui les environne. Ces éléments de connaissance et d’interprétation constituent des données essentielles pour aiguiser ensuite une stratégie de communication, d’accueil, de billetterie, et une politique des publics adaptée, voire originale, en tout cas unique. En d’autres termes, engager une démarche de marketing relationnel revient en premier lieu à donner la parole au public afin de le replacer au cœur de la démarche dont il est par principe pleinement acteur.

L’approche marketing n’est pas une « menace » qui dévierait les théâtres publics de leur mission (autonomie, exigence qualitative, liberté de création). Car il n’est pas ici question d’entrer dans une logique de marketing de l’offre et de la demande, à l’instar des entreprises commerciales, mais de développer des outils favorisant le lien avec les publics, comme la réflexion sur l’image, la notoriété, le rayonnement et la qualité des services. Le danger viendrait plutôt du fait que nombres acteurs culturels (éventuels « concurrents » directs et indirects) gagnent de l’avance, et des publics, grâce à leur connaissance très fine de ceux-ci et leur maitrise de certains outils dits marketing, qui sont de fait des outils de gestion de la relation aux publics.

Pourquoi initier une démarche marketing ?

De facto, de multiples facteurs incitent les théâtres aujourd’hui à développer leur réflexion stratégique: complexité et évolution rapide des comportements des publics, offre culturelle pléthorique et multi-supports, mutations numériques, nouvelles exigences des publics en termes d’accueil, de services et d’expérience globale, valorisation du spect’acteur…

Mais d’un côté, l’expérience quoique indéniable des équipes des théâtres, leurs compétences, la présence d’un livre de doléances, ne suffisent plus à obtenir une vision structurée, claire, exhaustive et, surtout, exploitable, des publics. Encore une fois les outils marketing n’ont de sens que parce que leur finalité reste la prise de décision, donc l’action. Et, de l’autre, une analyse de la billetterie, même fine, ne traitera que de données quantitatives non interprétables, sans accès possible à la question essentielle du relationnel, des échanges avec le spectateur, des valeurs partagées, en un mot, de l’expérience du spectateur au sens large.

L’approche marketing a l’avantage de décoder avec finesse les sensibilités, les besoins, les attentes, et la nature des expériences des spectateurs, qui l’engagent et le désengagent, tout en assurant rigueur et rationalité, via l’utilisation d’outils et de méthodes objectives, dont la pertinence a été prouvée. Enfin, elle intègre les réalités propres à un territoire donné, tout en se mettant au service de valeurs et d’objectifs prédéfinis, qui sont ceux du lieu sur lequel elle réfléchit, et qu’elle ne saurait compromettre.

Marketing, programmation et positionnement

La portée des outils marketing s’arrête là où débute la question de la programmation artistique, comme nous l’avons déjà évoqué plus haut. En l’occurrence, le public ne prétend pas avoir la compétence de décider lui-même de l’offre artistique (même si certains lieux comme la Maison de la Culture d’Amiens l’ont expérimenté), et reste foncièrement attaché au plaisir de la découverte, savoure la joie de se laisser guider et surprendre par des propositions originales ou tout simplement à son goût. Nulle contradiction donc entre le fait d’interroger les publics et la notion d’indépendance et d’exigence artistique, et surtout pas pour les publics eux-mêmes ! Ceux-ci sont à proprement parler ravis qu’on les interroge, l’expérience l’atteste. Quant à la programmation artistique, elle représentera toujours une prise de risques partagée entre le lieu et le public qui le visite.

Sans prétendre à revoir une ligne artistique donnée, les outils marketing peuvent néanmoins mettre en lumière des aspects importants relatifs à une programmation donnée, et peuvent soulever les questions suivantes:

  • La ligne artistique est-elle claire et comprise par les différents publics ?
  • Comment et avec quels outils le théâtre peut-il mieux communiquer sur cette ligne artistique, pour capter tel ou tel public ?
  • Comment est perçu le positionnement du théâtre ? Cette notion est utile pour comprendre la spécificité et l’attractivité d’un lieu au regard de son environnement culturel et du public auquel il peut prétendre. De là, une réflexion va être engagée sur le marketing mix (services, communication, tarifs…) adapté.

Il reste que la question de la programmation est inévitable si l’on aborde les questions de motivation à fréquenter tel ou tel lieu – elle est essentielle pour bien les comprendre ! Si la programmation pose vraiment problème pour telle ou telle raison, les spectateurs l’exprimeront de toutes façons lors des focus groupes ou dans les questions ouvertes du questionnaire, grâce auxquelles la parole se libère. Il faudra l’entendre, et l’on ne peut rester sourd aux ressentis des spectateurs, qui plus est s’ils provoquent un désabonnement massif par exemple. Notons enfin que parfois, des ajustement simples peuvent être porteurs, sans remise en question d’une ligne artistique par ailleurs cohérente : plus de propositions jeune public ici, plus de propositions pour les familles par là, davantage de programmation de tel type encore ailleurs.

Les outils marketing : réservés aux grosses structures ?

Certes, certains acteurs du spectacle ont des moyens financiers élevés, et des budgets marketing et communication nettement supérieurs à ceux de la moyenne. Pourtant, même un théâtre municipal ou une petite scène conventionnée peut s’emparer d’outils simples pour la mise en place de dispositifs de connaissance du public. Ceux-ci sont à la fois des outils de « bon sens », et qui respectent une certaine méthode de conception et d’application. Ils se constituent en fonction des moyens, des enjeux et des besoins propres au théâtre, qu’ils traduisent en objectifs. Une méthodologie spécifique est ainsi mise en place ad hoc, c’est-à-dire sur mesure.
Dans certains cas, une étude de public en ligne peut être envisagée sur un budget inférieur à 10 000€, et un focus groupe qualitatif à partir de 3 000€. Des modules plus légers (et plus courts) sont également envisageables, avec une facturation à la journée par le prestataire. Une autre possibilité est de former les collaborateurs aux techniques marketing ou aux études de public, en utilisant des crédits formations.

Les études de public, point de départ de l’analyse marketing

Aujourd’hui, trop peu de lieux réalisent encore des études, dont les résultats représenteront pourtant le point de départ d’une démarche articulée vis-à-vis des publics, aussi bien qu’un socle à la réflexion sur l’offre culturelle elle-même envisagée dans sa globalité. Pourtant, ces outils (études d’image, de comportements, de notoriété, de communication, démarches co-créatives avec les publics…) facilitent les processus de décision. Leurs enseignements fournissent de la matière sous forme de données riches, fines, structurées et fiables, à condition bien sûr d’une méthodologie, d’une mise en place et d’une analyse expertes.

L’étude va guider pragmatiquement et efficacement le lieu, l’aider à prendre les bonnes directions. Elle soutient les équipes dans la réalisation de son projet artistique et dans ses ambitions sur un territoire, en lui donnant des clefs de lecture, en déterminant avec elles quelles actions peuvent être initiées pour valoriser l’offre de services comme la dimension relationnelle avec les publics, eux-mêmes façonnés de désirs, d’expériences, d’attentes spécifiques à prendre en compte.

En quelques mots, elles permettent :

  • De recueillir des éléments factuels et mesurables, tout comme des paroles (verbatim) et des remontées d’expérience,
  • De donner du sens, du poids et de la valeur aux données récoltées,
  • D’utiliser cette matière vivante pour réaliser des réflexions poussées, construire des typologies, définir des modèles ou des scénarios, imaginer des alternatives,
  • Enfin, d’orienter, d’éclairer les décisions, les initiatives, tout en renforçant la dimension relationnelle engagée avec le(s) public(s), ainsi que les liens de travail au sein de l’équipe du théâtre elle-même.

Des études pour attirer de nouveaux publics et mieux cerner les « non-publics » ?

Le marketing théâtral ne s’intéresse pas uniquement aux populations susceptibles de réserver un billet ou de s’abonner. Il s’attelle à mieux décrypter les freins et les motivations des publics plus difficiles à attirer comme les publics occasionnels, les jeunes, ou encore les anciens abonnés ou les publics « abandonistes ». Par exemple, un visiteur de musée, de médiathèque ou d’un théâtre « concurrent », un jeune amateur de concerts qui ne va pas au théâtre, peut être interrogé. L’analyse mettra peut-être en lumière la nécessité d’améliorer la notoriété ou l’image du lieu auprès de telle ou telle catégorie de population. Pour interroger ces publics potentiels ou ces non-publics, un lieu peut faire appel à des panels, ou utiliser des bases de données de lieux partenaires sur le territoire (médiathèque, musée, autres théâtres…). Dans ce cas, une étude des publics mutualisée peut même être partiellement financée par les tutelles.

Marketing et stratégie

Dans un théâtre, une stratégie marketing peut donc s’inscrire dans la démarche suivante :

  • Réalisation d’une étude de public avec préconisations
  • Segmentation des publics, définition de chaque public clef et actions/messages à prioriser
  • Clarification d’un positionnement et d’un « ADN »
  • Définition de moyens et d’objectifs (publics, positionnement, offres, services, communication…)
  • Déploiement du mix (axes et contenus de communication, choix des supports, tarifs, commercialisation, outils de fidélisation, services, politique d’actions et de relation vis-à-vis des publics)

La stratégie va concerner tous les services du théâtre, et aura l’avantage de créer du lien en « mettant tout le monde d’accord » autour d’éléments de connaissance, de méthodologie et d’objectifs. En cela, le marketing peut être entendu eu sein d’une équipe comme un outil de coordination des initiatives mises au service d’une mission commune.

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