Technologies et écosophie : « L’enjeu, c’est de singulariser : remettre l’identité au centre, faire attention à l’autre par le cœur
 » Jean-François Jégo

À l’occasion des Rencontres TMNlab x Chaillot Augmenté, l’artiste-chercheur Jean-François Jégo explore les liens entre technologies immersives, création artistique et engagement écologique. Dans un dialogue sensible mené par Chrystèle Bazin, il interroge notre rapport aux machines, aux données et à la scène, à travers le prisme de l’éco‑esthétique et d’une intelligence artificielle frugale. Un échange éclairant pour penser de nouveaux récits du numérique dans le spectacle vivant.

Animé et monté par Chrystèle Bazin, autrice sonore et journaliste
Enregistré lors de la rencontre TMNlab co-organisée avec Chaillot – Théâtre National de la Danse, vendredi 14 février 2025
Musique : extrait d’Habiter (avec) Xenakis, Piano : Pavlos Antoniadis

De l’artiste-ingénieur à l’artiste-chercheur

Jean-François Jégo se présente comme un héritier de la figure de l’artiste-ingénieur. « Avant les Lumières, on ne se demandait pas si Léonard de Vinci était artiste ou ingénieur. » Dans cette filière, il conçoit des installations et performances mêlant art interactif, technologies génératives et enjeux sociétaux. Pour comprendre ces mutations, il n’hésite pas à « mettre les mains dans le cambouis ».

Une écologie de la création

Sa réflexion sur l’écologie du numérique naît d’une ambivalence : utiliser des technologies énergivores pour porter des messages critiques sur notre rapport au vivant. Cette tension nourrit une pensée inspirée par l’écosophie de Félix Guattari, qui articule trois écologies : environnementale, sociale et mentale. « L’enjeu environnemental ne pourra être résolu que si, collectivement, on fait société autour de ces questions. »

Habiter le monde, habiter la scène

Dans « Habiter (avec) Xenakis », créé en hommage au compositeur et architecte, Jégo interroge la notion d’habiter à travers une performance immersive où le corps du pianiste est instrumentalisé : capteurs musculaires, captation d’émotions, visualisation en temps réel. L’objectif ? Donner à voir et à ressentir l’engagement corporel du musicien, mais aussi questionner l’économie de la donnée et son exploitation.

Une scène ouverte, une participation active

Dans un esprit de frugalité technologique, le dispositif invite les spectateurs à utiliser leur propre smartphone pour interagir avec le spectacle, via un simple flash. Chaque téléphone devient un point de lumière, projeté sur scène, dessinant un nuage de points collectif. « On est à la fois singulier et partie d’un tout. » Cette participation, libre et ludique, détourne les codes habituels du spectacle vivant, où l’usage du téléphone est souvent proscrit.

Former une nouvelle génération de créateurs conscients

Enseignant à l’Université Paris 8, Jégo transmet ces valeurs à ses étudiants. Il leur apprend à manipuler, détourner et réparer les outils technologiques, à choisir les bons dispositifs pour leurs créations. Le code est mutualisé, les ressources partagées, dans un esprit de « do it yourself » et de science ouverte.

Vers une IA frugale et expressive

Travaillant depuis plus de quinze ans avec des outils d’intelligence artificielle, Jégo défend une IA « frugale », locale, transparente, à rebours des logiques industrielles. Il s’appuie notamment sur les algorithmes de reconnaissance de gestes de l’IRCAM, permettant une véritable co-création humain-machine en temps réel.

Repenser les récits du numérique

Au fil de l’entretien, une conviction traverse l’ensemble de ses propos : « L’enjeu, c’est de singulariser : remettre l’identité au centre, faire attention à l’autre par le cœur. » Une vision à la fois politique et poétique, pour dessiner des futurs technologiques plus justes, plus sensibles, et pleinement habités.

Cet article a été rédigé avec l’appui de l’IAgen, d’après la retranscription textuelle du podcast.

Cet événement s’est tenu le cadre du Sommet pour l’action sur l’IA.