Les projets SCAPIN en Belgique et STAGE à l’Université Rennes 2, de la mémoire à la découvrabilité ?

L’histoire du théâtre contemporain fait face à un changement de paradigme majeur avec le passage de l’analogique au numérique. Les traces laissées par les arts de la scène sont aujourd’hui essentiellement numériques, soit parce que les sources ont été numérisées, soit parce que les artistes produisent avec des ordinateurs. Cela soulève des questions d’ordre méthodologique, épistémologique et technologique complexes. On ne peut plus écrire l’histoire du théâtre de la même manière.

Clarisse Bardiot est professeur en études théâtrales à l’Université Rennes 2, elle mène ses recherches au laboratoire Arts : pratiques et poétiques (APP). Elle est également membre de la Communauté TMNlab.

En mars 2023, le Conseil européen de la recherche (ERC, pour European Research Council) lui a attribué un Advanced Grant doté de 2,5 millions d’euros sur cinq ans. STAGE, son projet de recherche, s’intéresse au changement de paradigme que connait l’histoire des arts de la scène depuis l’avènement du numérique. Elle l’évoquait lors du Café TMNlab dédiée au projet Cap Data Opéra en décembre 2023.

Le théâtre se différencie d’autres formes d’art, en ce qu’il s’agit d’œuvres éphémères dont on ne conserve que des traces. Parmi elles, les photographies et les captations vidéo ont un statut à part… Grâce au développement d’algorithmes issus de l’intelligence artificielle, nous devrions être capables d’analyser ce corpus d’images pour voir si des gestes ou des éléments de scénographie circulent d’une mise en scène à une autre, et tenter de construire une iconologie des arts de la scène, un peu comme Aby Warburg l’a fait pour l’histoire de l’art.

Avant ce projet de recherche, elle a mené de nombreux travaux à ce sujet et publié Arts de la scène et humanités numériques / Des traces aux données. Elle rappelle que les traces numériques, qu’elles soient numérisées (programmes, carnets de notes, dessins, etc.) ou nativement numériques (mails, sites internet, captations vidéo, etc.), constituent un défi majeur pour la mémoire des éphémères arts de la scène. Le numérique transforme les traces en données et ce faisant les ouvre à la manipulation.

C’est bien ce dont il est objet dans un projet comme Cap Data Opéra (Réunion des Opéra de France), CAPACOA (Canada) ou encore SCAPIN (Belgique), que nous avons découvert très récemment.

Le projet SCAPIN (pour SCène – API – Network) a pour objectif de concevoir une base de données des spectacles unique, via une modélisation qui ne se voit pas entravée par l’encodage parfois trop hasardeux ou, au contraire, trop précis du passé. Celle-ci offrira un accès aisé aux données, via une interface de consultation et une api  (acronyme anglais pour interface de programmation d’application) permettant leur affichage, qui sera configurable sur d’autres sites, entre autres celui des compagnies partenaires.

Le projet SCAPIN est conforme aux principes du projet LODEPA (Linked Open Data Ecosystem for Performing Arts). Il contribue à deux dynamiques : coordination et d’agrégateur de données d’une part, échange de données d’autre part (avec des cas d’usages connectés à des billetteries ou sites d’institution).

Vidéo de présentation du projet (schématisation, le son ne fonctionne pas)

Vidéo de présentation en anglais (très intéressant) :

Dans cet vidéo, Luc Wanlin présente SCAPIN décortique les enjeux autour des données liées dans le spectacle vivant mais aussi les freins historiques liés à la nature des oeuvres, la difficultés de créer des autorités et des identifiants uniques dans un secteur où l’écrit édité est minoritaire.

Il est très intéressant de réécouter Eudes Peyre présenter le projet de la Réunion des Opéras de France (accès adhérent.es), d’identifier la grande proximité intellectuelle tout en analysant les différences (lien à Wikidata, utilisation des API, etc).

Construire ces projets est essentiel pour l’avenir du spectacle vivant dans un monde culturel numérique, pour sa découvrabilité et pour sa diversité – comme nous le rappelions encore avec le chercheur Jean-Robert Bisaillon lors d’un Café IA et découvrabilité (adhérent.es) ou à travers les nombreuses publications sur ce sujet (et notamment Lier l’avenir numérique des arts de la scène).

Au TMNlab, nous continuons à nous mobiliser pour mettre ces sujets en mouvement.

Aller plus loin :

Illustration : Luc Wanlin vu par l’illustrateur Pieter Fannes lors de la Journée d’études autour de la sauvegarde et de la valorisation des archives des Arts Vivants, organisée à l’initiative de Passe-Temps à Latitude 50 à Marchin le 15/03/2024

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