Les social media managers, responsables de communication / marketing du groupe #CMCulture se sont réunis, jeudi 27 novembre, pour parler community management en situations de crise : comment gérer les réseaux sociaux au cœur du cyclone ? Quelles méthodologies ?
Dans un établissement culturel, une crise, qu’elle soit liée à une actualité, un incident, une urgence communicationnelle, un changement lié à la programmation, une polémique, du harcèlement en commentaires, met fortement à l’épreuve nos canaux de diffusion.
Les réseaux sociaux, qui sont souvent les premiers lieux d’expression et de réaction, exigent une posture claire, une coordination interne et une stratégie réactive.
Une rencontre concoctée par Juliette Tissot Vidal, responsable du numérique à l’Opéra-Comique et Thibault Prioul, responsable des réseaux sociaux à l’Opéra national de Paris, avec la participation de :
- Léa Josse, responsable Marketing à l’Opéra national de Lyon. Elle évolue dans un environnement où la mission de communication et de publics est très exposée, et intègre le numérique et les réseaux sociaux comme leviers d’engagement.
- Céline Rousseau : Co-fondatrice de Mazette, experte en communication culturelle, prise de parole et communication de crise. Elle a débuté dans un cabinet spécialisé en communication de crise, puis en marketing de labels, et accompagne depuis de nombreuses structures culturelles sur ces questions : audits, stratégie, media training. Elle publiera en janvier prochain un ouvrage dédié à la communication de crise dans le secteur culturel.
Restitution audio de l’échange
Résumé de la rencontre
Cet article a été rédigé avec l’appui d’une I.A. générative, d’après la retranscription textuelle du podcast.
Introduction et contexte de la rencontre
Cette session du TMNlab, organisée par le groupe de travail #CMCulture, a été conçue pour aborder la problématique croissante de la gestion de crise sur les réseaux sociaux dans le secteur culturel. L’objectif principal est de rompre l’isolement des professionnels souvent seuls face à ces enjeux et de partager des expériences et des stratégies concrètes. La rencontre vise à mutualiser les connaissances pour, à terme, co-construire un guide pratique.
La discussion a été structurée en deux temps forts : un retour d’expérience concret de l’Opéra national de Lyon, suivi d’une présentation plus théorique et stratégique par une experte en communication de crise. Comme l’a souligné Thibault, l’ambition est de « repartir avec des billes auprès de nos directions » et de se sentir « un peu moins seul derrière nos écrans ». Cette démarche collaborative est au cœur de l’ADN du groupe #CMCulture, qui créé un espace d’échange constructif basé sur des cas précis.
Il est proposé de créer un guide de gestion de crise sur les réseaux sociaux collectivement, destiné aux professionnels du secteur culturel. Il y a un profond besoin commun de formaliser des protocoles d’action (niveau 1, 2, 3) pour mieux réagir aux crises et les anticiper.
Retour d’expérience de l’Opéra national de Lyon, par Léa Josse
Contexte et évolution des interactions
L’intervention de Léa Josse, responsable Marketing à l’Opéra national de Lyon, a permis d’ancrer la discussion dans la réalité du terrain. Elle a introduit son propos en soulignant la transformation du paysage des réseaux sociaux : d’un espace d’échanges majoritairement bienveillants et constructifs, ils sont devenus un terrain où les algorithmes favorisent les contenus polarisants, générant des débats parfois houleux.
Léa Josse a rappelé qu’il y a quelques années, la modération était une tâche relativement simple, les critiques étant classiques et la communauté s’autorégulaient.
Aujourd’hui, le temps consacré à la modération est estimé à l’Opéra de Lyon à 45 minutes par jour en moyenne, une charge non négligeable pour une équipe aux missions multiples. Cette évolution a contraint l’institution à repenser entièrement son approche pour protéger son image, celle des artistes et la qualité du dialogue avec ses publics.
Aujourd’hui, on voit que ça prend une autre forme, et surtout les algorithmes, on le sait tous, favorisent ces contenus qui peuvent être polarisants pour générer plus d’engagement.
Léa Josse, responsable Marketing à l’Opéra national de Lyon
Les crises spécifiques de l’été 2025
Deux situations concrètes ont servi de catalyseur à cette réflexion. La première concernait la promotion d’un opéra du répertoire russe (Boris Godounov), qui a déclenché une vague de commentaires virulents sur fond de contexte géopolitique, dépassant largement le cadre artistique.
La seconde crise est née de la programmation de pièces de danse contemporaine (dans le cadre de la Biennale de la Danse) dont l’esthétique a été vivement critiquée, avec des attaques visant parfois directement les artistes.
Ces événements ont mis en lumière la vulnérabilité de l’institution, notamment lors des campagnes publicitaires « dark » (non visibles sur le fil d’actualité principal), qui sont devenues des foyers de tension. Face à l’embrasement, la première réaction a été de « tout stopper », une solution intenable sur le long terme car elle pénalise les objectifs de fréquentation. Cette expérience a démontré la nécessité de développer une stratégie proactive plutôt que réactive.
Formalisation de la procédure de gestion de crise à l’Opéra national de Lyon
En réponse à ces défis, l’Opéra de Lyon a décidé de formaliser sa stratégie de modération et de gestion de crise en mettant en place une procédure interne structurée pour anticiper, gérer et répondre aux interactions sensibles sur les réseaux sociaux.
- Charte de modération publique : Création d’un document définissant clairement les règles de l’espace de discussion, ce qui est toléré et ce qui ne l’est pas (propos haineux, diffamation, harcèlement). Cette charte sert de socle pour justifier la modération (masquage, suppression).
- Procédure d’alerte à 3 niveaux :
- Niveau 1 (Courant) : La Community Manager gère les commentaires simples et les questions récurrentes, en s’appuyant sur des réponses pré-formulées.
- Niveau 2 (Sensible) : La Directrice de la Communication est sollicitée pour co-construire une réponse sur des sujets plus délicats.
- Niveau 3 (Crise) : La direction générale, la direction artistique et les experts internes (ex: conseillère éditoriale) sont impliqués pour prendre des décisions collectives et éclairées.
- Coordination interne : Sensibilisation de la direction, formation des équipes aux œuvres programmées pour mieux les défendre, et mise en place de canaux de communication fluides entre les services. La responsabilité incombe au pôle marketing de l’Opéra de Lyon, en collaboration avec la direction de la communication et la direction générale.
Conclusion et enseignements
Léa Josse a conclu en insistant sur plusieurs points fondamentaux. La modération doit être envisagée comme un outil de médiation, permettant d’apporter des éléments de contexte et de compréhension, sans chercher à convaincre à tout prix. Elle a également souligné l’exposition des équipes et la nécessité de les soutenir avec des outils et des règles claires.
L’idée pour nous , c’est de se demander : est-ce qu’il n’a pas aimé ? Parce que si c’est le cas, il a le droit. Ou bien est-ce qu’il n’a pas compris, ou quels éléments lui manquent ?
Léa Josse, responsable Marketing à l’Opéra national de Lyon
Enfin, les principes d’anticipation et de réactivité ont été présentés comme primordiaux. Il est crucial d’agir dès les premiers signaux d’une crise potentielle et de pouvoir répondre rapidement, ce qui implique que les processus de validation internes soient agiles et adaptés au tempo des réseaux sociaux.
Cadre théorique et stratégies pratiques de communication de crise, par Céline Rousseau, consultante & experte en communication culturelle, prise de parole et communication de crise
Définition et spécificités d’une crise dans le secteur culturel
L’intervention de Céline Rousseau, consultante et auteure, a apporté un éclairage théorique et stratégique. Elle a commencé par définir ce qu’est une crise, au-delà d’une simple perturbation : un événement qui met en péril les objectifs premiers de l’organisation, se caractérise par l’urgence et la surprise. Elle a souligné que le secteur culturel est souvent dans un « état de sidération » face à la crise, car il est moins outillé et formé que d’autres secteurs.
Le secteur culturel présente des spécificités qui amplifient l’impact des crises : un fort capital symbolique (les attentes envers un opéra ne sont pas les mêmes qu’envers une usine), un lien complexe avec les publics (spectateurs, usagers, écosystème), des gouvernances partagées impliquant des comptes à rendre aux tutelles, et une forte incarnation des projets par des artistes qui ont leur propre audience.
Depuis deux ans et demi, sur les dizaines de structures que j’ai accompagnées, neuf crises sur dix sont liées à des problématiques de VHSS (Violences et Harcèlements Sexistes et Sexuels).
Céline Rousseau, co-fondatrice de l’agence d’ingénierie culturelle Mazette
Les phases d’une crise et les stratégies de réponse
Céline Rousseau a détaillé les quatre phases d’une crise :
- Préliminaire : L’apparition des « signaux de fumée », souvent détectables via une veille fine sur les réseaux sociaux.
- Aiguë : L’événement déclencheur qui oblige à réagir. L’inaction n’est plus une option.
- Chronique : La phase d’enlisement, où l’attention médiatique baisse mais les problèmes persistent.
- Cicatrisation : La phase de reconstruction de l’image et de passage à un nouveau chapitre.
Face à une crise, trois grandes stratégies éthiques sont possibles : la responsabilité (reconnaître sa part), la défense (contextualiser, faire de la pédagogie) ou la contre-attaque (défendre activement ses valeurs, créer des alliances).
Le choix de la stratégie dépend de la nature de la crise et des valeurs de l’institution. L’art de « qualifier la crise » (ex: « incident isolé », « audace assumée », « débat vif ») est également crucial pour orienter la perception de l’événement.
Astuces pratiques pour la gestion de crise sur les réseaux sociaux
Céline Rousseau a partagé une série de recommandations pratiques pour réagir sur les réseaux sociaux, qui peuvent être considérées comme des actions clés à adopter.
Face à la désorganisation et la sidération provoquées par une crise, il est recommandé d’adopter une approche méthodique :
- Analyser la situation : Se poser les bonnes questions (Qu’est-ce qui est menacé ? Qui est concerné ?) et cartographier les risques.
- Mettre en place une veille active : Utiliser des outils comme Google Alerts, le « social listening » (Meltwater, Talkwalker) et Google Trends pour objectiver l’ampleur de la crise.
- Orienter le flux plutôt que le bloquer : Face à une vague de colère, créer un canal dédié (formulaire, adresse mail) pour recueillir les plaintes et montrer qu’elles sont prises en compte.
- Incarner la prise de parole : En phase aiguë, une prise de parole au nom du directeur ou d’une figure d’autorité a plus de poids qu’un communiqué impersonnel.
- Adapter le format : Privilégier des formats synthétiques et visuels (carrousels, stories) et éviter les longs PDF. Utiliser les liens en bio ou en commentaire pour renvoyer vers des explications plus détaillées.
Conclusion et recommandations
L’intervention s’est conclue sur l’importance d’être « réactif mais pas épidermique ». Il faut prendre le temps de la réflexion pour ne pas répondre sous le coup de l’émotion. L’humilité, la pédagogie et l’absence de jargon sont essentielles pour ne pas envenimer la situation. L’exemple de la marque Etam a illustré la pertinence d’une double communication : une réponse rapide, incarnée et empathique sur les réseaux sociaux, suivie d’un communiqué de presse plus détaillé et factuel.
Questions – réponses et Échanges
La dernière partie de la rencontre a permis d’aborder des points soulevés par les participants :
- Mutualisation des outils : La question du coût prohibitif des outils de « social listening » a été soulevée. Il a été suggéré de travailler à la mutualisation des abonnements. En partant évoqué, que peut-être le SIG pourrait éventuellement avoir des marchés publics où des dispositifs de mutualisation existent pour accompagner les organismes culturels publics sur ces sujets.
- Gestion des mots-clés bannis : Il existe une fonctionnalité de gestion des mots à bannir dans les outils Meta : pour accéder à cette fonctionnalité, cliquez-ici (il faut être connecté à son compte pour que le lien renvoie vers la page).
- Alerter sa hiérarchie : Pauline a partagé son expérience sur la difficulté de faire remonter les alertes à sa direction. Céline Rousseau a répondu que la clé réside dans la collégialité. Il faut sortir de la décision individuelle en s’appuyant sur des outils comme la matrice des risques et en instaurant des cellules de décision collectives pour évaluer la gravité d’une situation.
À propos du réseau
À l’origine du groupe #CMCulture, un constat : les professionnel·le·s en charge du numérique ou du community management sont confronté·e·s à l’évolution permanente des plateformes, des pratiques et des tendances sur les réseaux sociaux. Souvent seul·e·s à assurer ces missions au sein de leur établissement, il leur est difficile d’échanger sur les problématiques qu’ils/elles rencontrent. Parce qu’il est essentiel, au -delà du spectacle vivant, d’élargir la réflexion aux autres champs culturels — notamment musées et patrimoine — le groupe #CMCulture est également ouvert aux personnes ne faisant pas partie du TMNlab.
Les rencontres #CMCulture sont initiées et animées par deux membres de la communauté : Juliette Tissot Vidal et Thibault Prioul. Ils s’inspirent des Rencontres CMmin, créées et animées pendant plusieurs années par Florence Vielfaure au Ministère de la Culture.
Les groupes de travail TMNlab : le community management avec #CMCulture. Les membres du TMNlab peuvent créer et animer des groupes de travail pour approfondir certains sujets. Les groupes sont présentés sur la page Coopération. Découvrez la page du groupe #CMCulture ici.
Rejoignez-nous pour échanger, s’entraider, partager et enrichir nos stratégies ensemble !
Les membres du TMNlab peuvent créer et animer des groupes de travail pour approfondir certains sujets. Les groupes sont présentés sur la page Groupe de travail.
