« Équiper ne suffit pas, il faut accompagner les artistes à bidouiller, tester, se tromper » Orianne Vilmer 

À l’occasion de la table ronde « Nouveaux métiers du spectacle vivant : former, accompagner, innover » organisée dans le cadre de SVSN au Festival d’Avignon 2025, Orianne Vilmer, chorégraphe et cofondatrice de la Fabrique de la Danse, partage sa vision des transformations à l’œuvre dans le champ chorégraphique. Formation, autonomie des artistes, acculturation aux technologies, nouveaux rôles : un entretien pour penser l’évolution des métiers à partir du terrain.

Depuis sa création, la Fabrique de la Danse s’est imposée comme un lieu ressource au service des chorégraphes, en plaçant la formation au cœur de son projet. Aujourd’hui, face aux transformations profondes que traverse le spectacle vivant – bouleversements technologiques, transitions écologiques, hybridation des pratiques –, elle se réinvente pour accompagner ces évolutions sans renier son ADN. 

Définir le métier de chorégraphe pour mieux le faire évoluer

« Avant de penser aux nouveaux métiers, on a d’abord ressenti le besoin de définir ce qu’était, pour nous, le métier de chorégraphe. » En élaborant un référentiel il y a trois ans, la Fabrique de la Danse a posé les bases d’une formation ancrée dans les réalités de la scène traditionnelle. Mais aujourd’hui, cette approche est questionnée par l’émergence de nouvelles formes, de nouveaux outils, et surtout de nouvelles postures.

Car au-delà des intitulés de fonction, ce sont les contextes et les manières d’agir qui évoluent. « L’autonomie reste au cœur de notre pédagogie : aider les chorégraphes à poser les premières pierres de leur “machine de fabrication”, qu’elle soit scénique, hybride ou virtuelle. » Cela suppose une solide maîtrise des fondamentaux chorégraphiques, mais aussi une capacité à dialoguer avec des techniciens, des designers, des développeurs.

Un lieu d’expérimentation pour une culture du faire

La Fabrique a récemment équipé son studio de dispositifs technologiques (caméras multiples, mapping, captation de mouvement…), mais « équiper ne suffit pas », souligne Orianne. Encore faut-il accompagner les artistes pour qu’ils puissent « bidouiller, tester, se tromper », en toute autonomie. Car le véritable enjeu est là : permettre à chacun d’explorer, prototyper, affiner une vision artistique qui dépasse la seule scène.

Un programme d’incubation a été lancé en ce sens, avec cinq chorégraphes accompagnés sur 18 mois. « Ils ne viennent pas chercher l’inspiration, ils ont déjà une idée en tête. Nous les aidons à structurer, à comprendre les impacts en termes de production, de budget, d’écriture. » C’est un pas important vers la consolidation d’un écosystème qui reste encore en construction.

Un programme-pilote pour baliser le terrain

Ce programme a été lancé début 2025 en collaboration avec le CDA d’Enghien les Bains et en partenariat avec le Chateau Ephémère et Le Cube Garges. Les chorégraphes y sont accompagnés pour explorer les potentialités des technologies numériques dans leurs projets. Ce programme sur-mesure, conçu comme un terrain d’apprentissage mutuel, permet d’identifier concrètement les besoins techniques, budgétaires, créatifs et organisationnels. Il alimente aussi la réflexion de la Fabrique pour structurer, à terme, une offre de formation plus large et plus accessible, qui articule expérimentation, culture technologique et autonomie de création. « On a lancé ce programme parce qu’on voulait comprendre les freins, pas en théorie mais en accompagnant vraiment des artistes. Et ça nous a aidés à voir le type de projets qu’on voulait soutenir, ceux où la technologie sert le propos plutôt qu’elle ne devient une fin en soi. »

Faire émerger une communauté interdisciplinaire

Pour aller plus loin, Orianne identifie un besoin crucial : celui de faire émerger une communauté de « créatifs technologistes » capables de collaborer avec les artistes du mouvement. « Aujourd’hui, ces profils sont rares, formés dans les grandes écoles, attirés par l’animation ou le jeu vidéo. Nous devons tisser des ponts, inventer des formes de compagnonnage, de mécénat de compétence, de peer-to-peer. »

La Fabrique n’a pas encore structuré cette communauté, mais les prémices sont là. Elle collabore notamment avec le Conservatoire augmenté pour proposer un module de formation à la production chorégraphique, avec l’ambition de déployer à terme des contenus liés aux nouvelles technologies.

Une culture de l’expérimentation assumée

La posture de pionnier est revendiquée, y compris dans l’imperfection : « On expérimente, on teste, on se trompe parfois, mais on apprend. » Cette culture du faire, déjà à l’œuvre dans les projets passés comme DanceNote, permet aujourd’hui de bâtir des outils plus pertinents. L’objectif est clair : offrir un espace ouvert où les artistes peuvent tester une idée, se former sur la “petite brique” qui leur manque, ou entrer en relation avec les bons interlocuteurs.

Qu’est-ce qui manque au spectacle vivant pour être acteur de sa transformation ?

« L’argent, bien sûr, mais surtout la formation, l’acculturation », répond Orianne sans détour. Les artistes peinent à se projeter dans des projets complexes, faute de moyens, et les institutions peinent à suivre, faute de compréhension. « Nous sommes des faiseurs, pas des lobbyistes. Mais pour que ces dynamiques se diffusent, il faut que les réseaux, les écoles, les lieux s’en saisissent. »

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Photo : Rencontre TMNlab x Hacnum : Se former à l’ère numérique / Table-ronde Regards des artistes sur les nouvelles compétences pour le secteur / crédit David Tenori

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