Redéfinir l’écriture collective
 : « La latence, c’est là où un vrai dialogue peut advenir — même avec une machine » (Natacha Paquignon)

Dans le cadre des journées Chaillot Augmenté x Rencontre TMNlab, la journaliste Chrystèle Bazin donne la parole à Natacha Paquignon, chorégraphe de la compagnie Corps au bord. Ce podcast, capté au cœur de la session Media Lab, revient sur son processus de création mêlant danse contemporaine, réalité augmentée et intelligence artificielle, notamment à travers son nouveau projet Latency. Un échange passionnant sur la latence, l’écriture collective et la relation entre corps humain et système computationnel.

Animé et monté par Chrystèle Bazin, autrice sonore et journaliste
Enregistré lors de la rencontre TMNlab co-organisée avec Chaillot – Théâtre National de la Danse, jeudi 13 février 2025
Musique : Latency, compagnie Corps au bord

Écrire avec une machine : Natacha Paquignon explore la latence comme espace chorégraphique

La chorégraphe Natacha Paquignon développe depuis plusieurs années un travail à la frontière de la danse contemporaine et des technologies immersives. À l’occasion des rencontres Chaillot Augmenté x TMNlab, elle revient sur son projet en cours, Latency, qui interroge la relation entre corps humain, intelligence artificielle et temps différé.

Un dialogue chorégraphique avec l’IA

Avec Latency, la compagnie Corps au bord initie un travail exploratoire autour d’un système d’IA conçu pour interagir en temps réel avec deux danseuses, dans un environnement visuel et sonore en perpétuelle mutation. « L’idée est de proposer un espace de dialogue chorégraphique avec une entité qui ne nous ressemble pas », explique Paquignon. Loin de l’anthropomorphisme, l’IA interprète ici les déplacements dans l’espace et non le squelette ou les articulations : « Ce qui m’intéresse, c’est l’intention du corps dans l’espace, pas sa reproduction. »

Ce système, développé par Maxime Touroute et Tom Veniat (co-fondateurs de Reveality), n’est pas entraîné à partir de zéro mais ajusté via des modèles existants. Il s’agit d’un processus itératif où le public participe : « On leur a demandé ce qu’était pour eux un cercle, une ligne, des qualités de mouvement… Le système apprend de ces interprétations. »

Latence comme poétique du lien

Le choix du titre Latency n’est pas anodin. Pour la chorégraphe, la latence devient un espace de création : « C’est le temps qui nous sépare, mais aussi celui qui nous relie. L’immédiateté, c’est de l’action-réaction, mais on n’est pas dans le dialogue. » À l’inverse, la lenteur, les micro-décalages entre stimulus et réponse sont ici perçus comme les conditions nécessaires à une véritable communication entre humains et machines.

Cette idée se traduit plastiquement sur scène, via un dispositif de vidéo larsen qui, à mesure que les danseuses interagissent, finit par « désagréger les corps » pour laisser place à un langage propre à la machine. Une transition où le système semble « ne plus avoir besoin » des humains, amorçant un dialogue autonome.

Un collectif d’écriture élargi

L’usage de l’IA transforme aussi l’écriture chorégraphique elle-même, la rendant plus collective et ouverte : « L’idée de la surprise et du possible dialogue vient du fait qu’une partie du processus nous échappe. » Cette incertitude constitue une forme d’improvisation, encadrée par des règles précises, mais aussi une prise de risque assumée. « Peut-être que si ça part dans une direction qui ne nous convient pas, on reprendra la main. Mais pour l’instant, on veut vraiment expérimenter. »

Entre danse, cinéma et réalité augmentée

Comparé à ses précédents projets en réalité augmentée — comme The Invisible Party — le travail avec l’IA diffère fortement. « En réalité augmentée, on travaille plus sur la superposition de corps immatériels dans des paysages réels. » Le système y sert principalement à « détourer automatiquement les corps », loin des logiques décisionnelles ou adaptatives des IA dites « boîte noire ».

Avec l’application Revy développée par Maxime Touroute, la compagnie imagine aussi des formes hybrides de diffusion mêlant performances en direct et expériences en autonomie via smartphone, en intérieur comme en extérieur. Ces formats demandent des ajustements des modèles de production : « On propose que l’œuvre soit accessible en permanence pendant un temps donné. Ce n’est pas dans les habitudes des lieux de danse. »

Des fantômes dans l’espace

Pour Natacha Paquignon, ces dispositifs élargissent l’espace chorégraphique. « Les lieux comportent des danses, des présences invisibles. Le smartphone devient une fenêtre sur ces dimensions cachées. » L’objectif ? Rendre au smartphone sa fonction poétique de lien avec le monde, et inviter le public à s’approprier les œuvres : « On peut imaginer des parcours où les habitants dansent leur rapport subjectif à leur environnement. »

Vers de nouvelles modélisations relationnelles

En parallèle, la chorégraphe imagine une future création en RA avec une mathématicienne, autour des schémas relationnels entre insectes pollinisateurs et fleurs. Une manière de transposer des logiques biologiques au champ des relations humaines, dans des environnements en mutation rapide : « Que se passe-t-il si tous les êtres vivants doivent recréer leurs relations ? »

À travers Latency et d’autres projets à venir, Natacha Paquignon poursuit son exploration sensible et politique des relations entre corps, espace, et systèmes computationnels. Avec, en filigrane, une conviction forte : c’est peut-être dans les interstices, les silences et les lenteurs que se loge l’essentiel du dialogue à venir.

Cet article a été rédigé avec l’appui de l’IAgen, d’après la retranscription textuelle du podcast.

Cet événement s’est tenu le cadre du Sommet pour l’action sur l’IA.

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