La médiation à l’ère du numérique : Compte-rendu de la rencontre organisée à l’Université Rennes 2

Nous vous avions signalé la rencontre Pause Théâtre, « La médiation à l’ère du numérique », organisée le 8 avril, animée par Pauline Wepierre et Marie Herbault dans le cadre du séminaire de Marion Denizot, « Les enjeux de la médiation » (Master 1 d’Études théâtrales / Université Rennes 2). L’équipe nous a communiqué le compte-rendu de cet événement.

pausetheatre

Invités :
Marion Étienne, responsable de l’action culturelle, Opéra de Rennes
Rozenn Chambard, secrétaire générale, Opéra de Rennes
Irvin Tollemer , commmunity manager, Opéra de Rennes
Grégoire du Pontavice, responsable du service éducatif et projets cultures urbaines, Le Triangle – scène conventionnée danse

Compte-rendu

Rédigé par Marie Herbault et Pauline Wepierre, revu par Marion Denizot (mai 2015)

Les « Pause Théâtre », organisées par le département Arts du Spectacle, sont des tables rondes qui invitent des acteurs de la vie culturelle rennaise à débattre sur une problématique définie. Celle qui a nous été confiée questionnait la médiation du spectacle vivant à l’ère du numérique. Cette question s’ancre dans une réflexion plus générale menée au sein du Master I – Etudes Théâtrales : Comment la médiation du spectacle vivant renouvelle t-elle ses méthodes et ses approches théoriques dans le cadre d’une individualisation culturelle et dans un usage de plus en plus large de l’utilisation du numérique ?

Ce semestre s’est tenue une série d’entretiens, menés par les étudiants, qui a permis de discuter avec ceux qui font la médiation culturelle à Rennes aujourd’hui. Les entretiens se déroulaient en classe, entre élèves et professeur, dans un cadre restreint et cela sur deux heures. Or, il nous semble important de notifier que notre participation à ce séminaire n’est pas tout à fait la même que celle de nos camarades. En effet, notre entretien se passait en public, sur moins d’une heure et auprès de quatre intervenants. Ces remarques sont là pour dégager les variables qui ont pu influencer une certaine formalisation des réponses émises par les intervenants.
La présence du public amène cette fonction de « relations publiques » que ces professionnels maîtrisent au travers de leur métier, ils représentaient alors leur institution comme ils auraient pu le faire un cadre officiel. Les entretiens en classe étaient pour leur part plus confidentiels. Le nombre d’intervenants, le temps de la discussion ainsi que la co-présence de deux structures sont aussi des variables qui ont mené la table-ronde vers des réponses synthétiques.
Pour permettre au mieux la retranscription de ce qui a été dit au cours de cette Pause Théâtre, nous avons décidé de rendre compte pas à pas du fil de la discussion, parfois entre nous et les invités mais aussi entre les invités eux-mêmes. Ainsi le parcours des thèmes abordés dans cette synthèse suivra celui des thèmes abordés dans notre débat : présentation des invités, reconfiguration de leurs missions face au numérique, place de la communication et des réseaux sociaux, créations et actions numériques, nouvelles places du spectateur et valorisation de l’image.
Il semble important également de parler du travail que nous avons effectuer en amont. L’une d’entre nous a rencontré Grégoire du Pontavice avant la Pause Théâtre. Cet entretien préalable a permis de faciliter les échanges, alors qu’un tel entretien n’a pas été possible avec Marion Etienne et Rozenn Chambard.

PRÉSENTATION DES INVITÉS

Afin de nous questionner sur la médiation à l’ère du numérique, il nous fallait nous interroger sur le parcours de nos invités dont aucun ne porte la mention de « médiateur ».
Rozenn Chambard est secrétaire générale à l’Opéra depuis 2010, elle avait précédemment un poste de « Chargée des relations publics » depuis 1996, également à l’Opéra. Avant, c’est au Théâtre impérial de Compiègne qu’elle exerçait le métier des « Chargée de communication ». Comme nous l’a confirmé l’entretien, son parcours est plutôt celui d’une communicante, son profil entier ainsi que son parcours sont d’ailleurs consultables sur plusieurs sites en ligne.
Marion Etienne est responsable de l’action culturelle à l’Opéra de Rennes depuis 2001 à la suite d’une Maîtrise en Études Théâtrales. Elle participe à de nombreux stages aux Tombées de la Nuit, à Clair Obscur et à l’Opéra lui même.
Irvin Tollemer est commmunity manager à l’Opéra de Rennes depuis 18 mois. Il s’occupe des réseaux sociaux et qualifie son métier comme « un grand mot pour un petit poste ». Une des missions principales est d’attirer les publics présents sur les réseaux et qu’on peut parfois qualifier de « non-publics », il travaille en étroite relation avec les autres services, il partage les actions de communications, il renseigne les publics sur les tarifs, il met en valeur les actions culturelles. Son poste se relie à une communication immédiate (tarifs dits « dernière minute », jeux concours, Pause Théâtre, Tweets, photos, partages, …).
Grégoire du Pontavice est depuis 9 ans en charge du service éducatif et de la programmation hip-hop au Triangle-scène conventionnées danse. Il obtient un diplôme de gestion et d’administration à Rennes et diversifie sa palette de compétences en découvrant les cultural studies en Irlande. De retour à Rennes, il est engagé en emploi jeune au sein du Centre Chorégraphique de Rennes et de Bretagne en tant que chargé de communication. Puis, des affinités personnelles vont le pousser vers un monde plus cosmopolite, vers l’échange et la rencontre avec le public. Il insistera au cours de notre échange, lors des présentations, sur l’importance de la curiosité dans un profil de médiateur, ce qu’il semble avoir acté dans son parcours.
Tous ces parcours différents nous ont poussé à nous interroger sur les qualités requises pour « faire » de la médiation, les invités semblent s’accorder sur une nécessaire curiosité, un grand sens d’adaptation envers les publics, une écoute infaillible et un dynamisme certain afin de favoriser au mieux l’échange dans les multiples rencontres lié à ce métier (publics, artistes, administratifs, techniciens, hommes politiques…)

RECONFIGURATION DES MISSIONS

Aujourd’hui le monde entier est rivé sur son téléphone, cet aspect du numérique, Grégoire du Pontavice en parle comme d’une « tension au sein des salles de spectacles ». Il parle du public du Triangle comme un public fasciné par le spectacle vivant mais également hypnotisé par ses écrans qui nécessite un « certain apprentissage pour se déconnecter de son téléphone lorsqu’il se rend au théâtre ». Il semble même le voir comme une nouvelle mission du médiateur. Cette « résistance » est également partagée par l’Opéra qui souhaite rester militant face à l’utilisation du téléphone pendant les représentations, face à une montée des univers virtuels au sein de ses murs.
Les deux institutions constatent une « perte de la conscience du réel de la part des spectateurs face à des artistes qui utilisent du numérique ». Marion Etienne nous donne l’exemple d’élèves qui discutent, « comme au cinéma », alors que deux chanteurs s’exécutent à quelques mètres d’eux. En effet, un écran sur scène paraît troubler la concentration du public comme rappel d’une sensation éprouvée face à l’écran : l’obligation de silence est oubliée car on perçoit peut être moins ce qui se déroule sur scène lorsqu’il y a un écran.
Malgré cela, les deux structures s’accordent à dire que le numérique est un véritable outil pour la médiation et Grégoire du Pontavice d’insister sur le fait que « le numérique fonctionne sur les mêmes schémas que la médiation dite traditionnelle». Rendre accessible une salle de spectacle, donner envie à de nouveaux publics, aider à la compréhension des spectacles restent les missions de médiation principales. Marion Etienne s’interroge par exemple sur l’idée de vidéos remplaçant le dossier pédagogique auprès des scolaires afin de capter leur attention, d’attirer leur curiosité avec des supports qu’ils connaissent, il faut désormais être au plus près des évolutions technologiques, surtout chez les jeunes publics qui se servent quotidiennement des nouvelles technologies. De son coté, le Triangle n’imagine plus travailler sans le support vidéo, à l’occasion des présentations dans les établissements scolaires, en revanche il ne souhaite pas donner de fausses impressions du spectacle en ne montrant que le moment les plus dansés et les plus séduisants.

COMMUNICATION & RESEAUX SOCIAUX

Avant l’arrivée d’Irvin Tollemer, l’Opéra n’était pas très présent sur les réseaux sociaux. Or une des missions de l’Opéra, c’est aussi faire venir d’autres publics qui n’ont pas l’habitude de se rendre dans leurs murs. Facebook et Twitter permettent à l’Opéra « de s’ouvrir à un plus large public car l’Opéra appartient aux rennais ». Pourtant, Rozenn Chambard avoue que le taux de remplissage de l’Opéra avoisine la plupart du temps les 120% et qu’il est obligé de refuser un grand nombre de spectateurs potentiels. Cela peut fausser cette mission de « démocratisation culturelle » : ne s’agirait-il pas alors plutôt d’une valorisation de l’image par le biais du numérique ?
Du coté du Triangle, l’idée des réseaux sociaux est définitivement tournée vers la communication, il faut se faire connaître et faire découvrir la danse contemporaine au plus grand nombre car les spectacles au Triangle ne sont pas tous complets à l’avance. Au delà de cette fonction de communication pure, les réseaux sociaux sont aussi pensés au Triangle comme une possible partie intégrante de certains spectacles dans la saison comme le montre l’idée émise d’autoriser les tweets pendant les spectacles. Ainsi les « feedbacks » des spectateurs seraient spontanés et on aurait même affaire à une communication entre spectateurs au cours d’une représentation, ce qui déroge totalement aux règles implicites du spectacle vivant. Rappelons que dans bien des structures du spectacle vivant, on demande de vive voix d’éteindre son téléphone avant toute représentation.
L’utilisation des réseaux sociaux ouvrent de nouveaux postes dans les structures culturelles. La proximité atteinte avec le spectateur oblige dès lors le community manager à répondre aux questions posées via les tweets ou les commentaires. Cela oblige également une présence active, permanente et personnalisée à l’instar d’un site internet qui permet aux institutions d’être dans le monde virtuel mais d’une façon simplement informative sans interactions.
Cette nouvelle pratique attribuée aux missions de médiation culturelle peut parasiter le travail de ses acteurs car cela prend beaucoup de temps et demande une permanence qui n’est pas possible en plus d’un travail sur le terrain. Pourtant cela crée de nouveaux postes comme celui Irvin Tollemer qui à la fois community manager et assistant de médiation. Cela développe aussi un nouveau rapport très riche avec les spectateurs. Par les tweets, les commentaires ou les photos postées sur Instagram chaque institution dispose désormais des avis de spectateurs ou non spectateurs, une trace est laissée. Certains spectacles n’ayant lieu que très peu de fois possèdent alors une marque indélébile sur la toile et assure la visibilité de l’Opéra ou du Triangle.

CREATIONS & ACTIONS NUMERIQUES

L’Opéra a déjà derrière lui de nombreuses expérimentations liées aux nouvelles technologies. Nous avons pendant cette Pause Théâtre aborder plusieurs d’entre elles.
Depuis cette année, l’Opéra a été approché par une start-up rennaise pour mettre en place des visites virtuelles et en 3D de l’Opéra ce qui pourrait palier l’impossibilité matérielle de répondre à toutes les demandes de visite de l’Opéra sachant que celui-ci est aussi un lieu de création et qu’il doit donc parfois fermer ses portes pour le bien-être des artistes. Marion Etienne cependant concède que l’idéal réside dans une visite réelle et physique de l’Opéra. L’outil numérique pourrait être un moyen de palier un défaut matériel.
Il y a 6 ans, l’Opéra mettait en place pour la première fois « Opéra sur grand écran ». Il s’agit de retransmettre en direct l’intégralité du dernier spectacle de la saison dans les meilleures conditions possibles en matière de son et d’image car l’Opéra c’est avant tout « un son et une image de haute qualité ». Cette retransmission a lieu en multidiffusion dans des communes de Rennes Métropole et de Bretagne, en plein air et en salle, mais aussi, sur des radios et des chaines de télévision (le 5 juin prochain pour La Cenerentola). Une fois de plus cet usage du numérique est là pour remédier aux contraintes de jauge de l’Opéra sur des spectacles très demandés « comme un Mozart ou un Verdi ». Grégoire du Pontavice déplore l’absence de ces opérations « grand écran » dans les quartiers rennais comme celui du Blosne (quartier du Triangle). La réponse par Rozenn Chambard implique une volonté de faire venir les gens vers la place de l’Opéra dans une idée de « fête populaire ».
Nous avons aussi rapidement aborder une des premières innovations avec « Opéra Bis », c’est la présence de l’Opéra de Rennes dans les mondes virtuels, Second Life et Open Sim. On peut relever que pendant les spectacles qui se déroulent virtuellement se mettait en place de fait une communication entre les spectateurs avatars. C’est permettre une communication entre spectateurs sans entraver la représentation.
Sur le schéma du collectif « Improve Everywhere », le Triangle a opéré ce même concept de communication entre spectateurs. Pendant le festival Agitato de 2010, les organisateurs ont donné rendez-vous au public sur la place de l’Opéra. Ceux-ci s’étaient munis d’un lecteur mp3 contenant un fichier audio qui avaient préalablement été téléchargé sur le site du Triangle. Il y avait deux fichiers audio différents, séparant ainsi la foule en deux. Des actions étaient dictées dans les écouteurs des participants, qu’ils s’appliquaient à faire sans retenue. Le contenu des fichiers audio, des actions dictées par une voix, les menaient jusqu’au Triangle dans le quartier du Blosne, au Sud de Rennes. C’est en effet le lieu d’implantation du festival Agitato chaque année. En tant que réflexion autour de la danse, la communication entre spectateurs se voulaient ici physique, dans cette création le corps du spectateur était le médium de l’action. Pour Grégoire du Pontavice, la grande surprise fut « le coté désinhibant de cette création (Mp3 Experiment), l’ordre dans le casque audio élimine notre résistance ». On reproduit ici aussi les vieux schémas où des consignes sont données en direct, « on pourrait pu faire ça à haute voix, dit-il, cela aurait pu marcher aussi », la technologie moderne en plus.

NOUVELLES PLACES DU SPECTATEUR

Qu’il s’agisse d’une médiation numérique plus alliée à la communication ou une médiation par le numérique, les deux structures présentes s’entendent sur le fait que ces nouvelles technologies leur permettent de renouveler leur public.
Une médiation classique basée sur la pratique, comme c’est le cas au Triangle, « n’est pas incompatible avec ce champ-là (celui des technologies numériques) mais les réseaux sociaux sont utilisés comme outils de communication ici ». Par les réseaux sociaux, le Triangle comprend qu’il peut intéresser des jeunes souvent rivés sur leur portable mais accrocs à la danse. Les icônes des réseaux sociaux sur leur site internet, nous menant sur leur page respective (Facebook/Twitter) sont d’ailleurs d’une taille relativement petite et ne sont pas réellement mises en avant. A la différence de l’Opéra qui possède plusieurs réseaux sociaux (Instagram, Pinterest, Google+, Tumblr, Facebook, Twitter), le Triangle n’en possède que deux alors qu’il semblerait que les jeunes soient pourtant plus présents sur ces nouveaux réseaux.
Avec les mondes virtuels, l’Opéra s’est vu la possibilité de ne plus laisser de spectateurs à la porte. Lors d’une programmation d’un Mozart ou d’un Verdi, « notre taux de remplissage frôle le 120% » note Rozenn Chambard. Par le biais de l’Opéra « en ligne » ceux qui n’ont pas réussi à obtenir de place peuvent quelque peu se réconforter. Une visite de l’Opéra en réalité augmentée est aussi en préparation, grâce à des cardboards tout le monde pourra se rendre à l’intérieur de l’Opéra et dans ses moindres recoins. Il s’agit ici d’ouvrir l’Opéra au plus grand nombre, les amoureux de musique mais aussi ceux d’architecture ou bien les personnes handicapées par exemple. Mais ce n’est pas une finalité, Marion Etienne souligne que pour les personnes en situation d’handicap il faut « trouver des solutions pour les faire venir physiquement dans nos murs ».
Le numérique pourrait permettre également aux personnes qui ne sont pas affectés à des groupes particuliers (scolaires, personnes handicapées…) d’avoir accès à des médiations afin d’arriver au spectacle en ayant plus de clefs de compréhension. Mais les halls d’accueil et les bars (lorsqu’il y en a) sont toujours des endroits où l’on peut poser des questions et débattre.
L’idée qui ressort au sein de cette discussion, c’est de faire venir le plus de monde possible dans les salles de spectacle, le schéma ne change pas, mais le numérique et les nouvelles technologies s’apparentent à des formidables outils rapides, peu onéreux et plutôt en vogue. Le numérique permet également l’archivage des événements passés : il permet de garder trace et de s’en servir ensuite comme matériel de médiation.

L’Opéra souhaite par le numérique afficher une « image innovante devant un public qui fréquente les réseaux », pour modifier son image d’institution bourgeoise et élitiste. Le Triangle, lui, semble davantage baser ses interactions avec son public au bar ou à l’accueil, sans exclure pourtant les outils numériques.

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