"Les artistes continuent à explorer des formes nouvelles grâce aux technologies, entre innovation esthétique et conscience écologique" Jean-François Jego

« Les artistes continuent à explorer des formes nouvelles grâce aux technologies, entre innovation esthétique et conscience écologique » Jean-François Jego

Table ronde : « Technologies, création et prospectives » dans le cadre de Chaillot Augmenté × Rencontre TMNlab 2025.

Dialogue entre Justine Emard, artiste plasticienne, professeure invitée au Fresnoy, studio national des arts contemporains et Adelin Schweitzer, fondateur du collectif deletere, animé par Jean François Jégo, chercheur et co-responsable de l’INREV – Image Numérique et Réalité Virtuelle du laboratoire Arts des Images et Art Contemporain –
Université Paris 8. Ensemble, ils ont interrogé les relations entre innovation technologique, création artistique et responsabilité écologique. Loin des effets de mode, ce dialogue a mis en évidence une même exigence : replacer la technologie dans une perspective sensible, critique et collective.

Enregistré lors de la rencontre TMNlab co-organisée avec Chaillot – Théâtre National de la Danse, vendredi 14 février 2025

Expérimenter la technologie autrement

Plasticienne formée aux Beaux-Arts, Justine Emard explore la relation entre humains et machines à travers l’image, la performance et l’installation. Depuis ses premières œuvres de réalité augmentée, elle détourne les outils du jeu vidéo ou du marketing pour révéler la poésie du numérique.

« Ce qu’on crée, c’est surtout une expérience humaine partagée. » — Justine Emard

Dans sa performance Live Dream, conçue avec Jean-Emmanuel Rosnet, douze spectateurs sont reliés par des électrodes qui captent leurs ondes cérébrales, transformées en une matière sonore et visuelle projetée dans l’espace.
Loin du spectaculaire, son approche repose sur l’économie de moyens – matériel récupéré, logiciels libres, dispositifs sobres – et sur la collaboration interdisciplinaire. L’expérimentation, le bricolage et la fragilité y sont revendiqués comme des valeurs esthétiques et éthiques.


Détourner les promesses du progrès

Adelin Schweitzer défend une démarche critique, qui met à distance la fascination pour l’innovation. Ses œuvres plongent le spectateur dans des dispositifs immersifs où la technologie devient une expérience d’altération du réel.

« L’important, c’est de faire tout ce que l’industrie n’a pas prévu, d’élever la bricole au rang d’expertise. » — Adelin Schweitzer

Avec A-Reality, il crée un spectacle pour une seule personne, équipée d’un casque expérimental, qui déambule dans l’espace public guidée par l’artiste. L’immersion y devient un moyen de perdre ses repères plutôt que de les renforcer. Dans #ALPHALOOP, il combine performance et imaginaire techno-chamanique pour questionner la croyance dans le progrès. Enfin, Le Test Sutherland détourne les codes d’une séance de testing pour une start-up fictive de réalité virtuelle : les participants découvrent peu à peu qu’ils prennent part à une expérience déroutante, où la cécité devient métaphore de l’aveuglement collectif face aux promesses technologiques.

« Dans ma pratique, j’utilise les technologies accélérantes pour décélérer, pour retrouver du temps humain. » — Adelin Schweitzer

Fidèle à une éthique de la lenteur et de la proximité, il privilégie les petites jauges et la rencontre directe avec le public, transformant la contrainte en moteur créatif.


Vers une écologie du regard

Les deux artistes partagent une défiance commune envers les discours d’“augmentation”.
Justine Emard fait de la machine une partenaire de perception, un outil de lien et de mémoire. Adelin Schweitzer la transforme en miroir critique de notre rapport au progrès. Tous deux replacent la recherche artistique au cœur des enjeux contemporains, entre conscience écologique, responsabilité sociale et désir de ralentir.

L’avenir de la création se joue moins dans la course à la performance que dans la réinvention des relations — entre artistes, publics, machines et environnements.

Synthèse des échanges avec le public

La discussion avec le public a prolongé la réflexion autour d’un même enjeu : comment penser la création à partir de la technologie sans en dépendre ? Plusieurs spectateurs ont interrogé les artistes sur la manière dont ils choisissent leurs outils, leur rapport à l’innovation et la place laissée à la fragilité dans leurs dispositifs.

« Le travail artistique consiste moins à maîtriser la technologie qu’à lui redonner une dimension sensible. » — Justine Emard

L’artiste évoque la nécessité de créer des situations où l’aléatoire, la panne ou l’imprévu participent de l’œuvre. Cette idée résonne avec la démarche d’Adelin Schweitzer, qui voit dans le détournement et la bricole une forme de résistance face aux logiques de performance.

« L’expérimentation, c’est aussi la possibilité d’échouer, de faire différemment. » — Adelin Schweitzer

Les échanges ont ensuite abordé la question de la transmission et de la mémoire de ces œuvres éphémères. Comment conserver ou rejouer des créations reposant sur des logiciels, des appareils ou des protocoles rapidement obsolètes ? Les artistes ont souligné l’importance d’une documentation ouverte et d’une économie du partage, où la circulation des savoirs techniques devient un acte politique.

« Ce que nous produisons n’est pas seulement une œuvre, mais un ensemble de connaissances que d’autres peuvent s’approprier. » — Justine Emard

Enfin, la place du spectateur a été évoquée comme un espace de cohabitation et de responsabilité. Dans ces formes immersives, le public n’est plus simple témoin : il participe à l’expérience, engage son corps, son attention, voire ses données. Ce déplacement redéfinit la notion même d’auteur et rejoint la perspective défendue par Jean-François Jego, pour qui le spectacle vivant doit devenir un terrain de recherche partagé entre artistes, scientifiques et citoyens.

« Ces technologies, loin d’être un simple outil, constituent un champ de relations à habiter et à questionner ensemble. » — Jean-François Jego

Cet article a été rédigé avec l’appui de l’IAgen, d’après la retranscription textuelle du podcast.

Cet événement s’est tenu le cadre du Sommet pour l’action sur l’IA.

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