Table ronde : « Création, technologies et démocratie culturelle » dans le cadre de Chaillot Augmenté × Rencontre TMNlab 2025.
Anne Le Gall, déléguée générale du TMNlab, a mené une discussion autour de la transformation numérique du spectacle vivant avec Jean Boilot, directeur artistique de la cie La Spirale, ancien directeur du NEST-CDN Thionville Grand-Est (2010-2019), directeur artistique de Villa Mosellane, Centre des Nouvelles Écritures Européennes en préfiguration et Samuel Arnoux, directeur du Festival Maintenant / Electroni[k], Pôle régional de création en environnement numérique, co-président du réseau HACNUM.
Enregistré lors de la rencontre TMNlab co-organisée avec Chaillot – Théâtre National de la Danse, jeudi 13 février 2025
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Les prochaines journées Chaillot Augmenté x Rencontre TMNlab Art vivant et environnements numériques auront lieu les 4 et 5 mai 2026 [inscrivez-vous pour être informé en priorité]

Le numérique, entre outil et culture
Samuel Arnoux, directeur du festival Maintenant / Electroni[k], revendique une approche ouverte du numérique :
« Sujet ou outil ? Les deux, mon capitaine ! » — Samuel Arnoux
Il ajoute un troisième terme essentiel : la culture numérique, devenue un langage commun qui façonne les pratiques des artistes comme celles des publics. L’enjeu n’est plus seulement de maîtriser les technologies, mais de comprendre les logiques qu’elles véhiculent — vitesse, algorithmie, transparence.
Pour lui, les artistes endossent un rôle de “hackers”, capables de détourner les outils pour en révéler les mécanismes :
« Les artistes soulèvent le capot des technologies pour révéler les idéologies qu’elles contiennent. » — Samuel Arnoux
Du théâtre populaire au théâtre numérique
Jean Boillot, metteur en scène et directeur de la Villa Mosellane, inscrit le numérique dans l’histoire longue du théâtre populaire. Pour lui, il ne s’agit pas d’une rupture mais d’une opportunité de repolitiser la scène :
« Le théâtre a toujours dialogué avec la technique. Ce qui compte, c’est la rencontre fragile entre le vrai et le faux, entre l’acteur et le public. » — Jean Boillot
La pandémie a joué un rôle d’accélérateur. Il se souvient des créations apparues sur Zoom, WhatsApp ou Messenger :
« On a vu des tentatives fragiles mais sincères. Elles racontaient une envie de scène, une envie de communauté. » — Jean Boillot
Ces expériences ont ouvert la voie à de nouvelles écritures hybrides, qui nécessitent du temps, de la formation et la constitution de collectifs pour se déployer pleinement.
Des institutions à réinventer
Les deux intervenants convergent sur la nécessité de repenser le rôle des institutions culturelles. Les lieux doivent devenir des laboratoires d’acculturation numérique, capables de réunir auteurs, programmeurs, médiateurs et publics autour de nouvelles formes.
« Le numérique, c’est aussi une nouvelle culture populaire. » — Jean Boillot
Samuel Arnoux appelle de ses vœux une politique culturelle plus transversale :
« On ne peut plus penser le numérique comme un secteur à part, mais comme une dimension de la création. » — Samuel Arnoux
Démocratie culturelle et nouveaux publics
Le numérique redéfinit la relation au spectateur. Samuel Arnoux parle d’un « continuum des publics », où chacun peut passer du rôle d’observateur à celui d’acteur. Jean Boillot voit là une promesse emblématique :
« Mettre un smartphone dans les mains d’un spectateur, c’est lui redonner la place du joueur, le rendre co-auteur du spectacle. » — Jean Boillot
Mais cette ouverture s’accompagne d’une responsabilité collective : inventer des formats pérennes, garantir des espaces réellement publics dans un univers dominé par les plateformes privées, et défendre la place du commun dans la société numérique.
Synthèse des échanges avec le public
Des attentes fortes en matière d’accompagnement
Les premières questions ont porté sur le manque d’accompagnement au numérique dans les territoires. Plusieurs participants ont décrit des structures culturelles qui souhaitent se saisir des nouvelles écritures sans toujours en avoir les compétences. Les intervenants ont souligné l’importance de dispositifs d’acculturation partagée, à destination autant des équipes artistiques que des équipes administratives.
Samuel Arnoux a rappelé que :
« Les lieux jouent un rôle clé pour rendre les pratiques numériques intelligibles et praticables, avant même de les programmer. » — Samuel Arnoux
Le défi des compétences hybrides
Une partie des échanges a porté sur la difficulté à recruter et fidéliser des profils capables de naviguer entre art, technique et médiation. Des participants ont souligné que les formations existantes restaient souvent trop spécialisées.
Pour Jean Boillot, cela appelle à repenser les parcours :
« On doit encourager les trajectoires amphibies : des artistes qui comprennent le code, des techniciens qui comprennent la scène. » — Jean Boillot
Les limites de l’outil et le risque de standardisation
Plusieurs questions ont interrogé la place grandissante des plateformes commerciales dans la création et la médiation. Le public a exprimé une inquiétude face à la standardisation des formats, notamment dans les outils interactifs clés en main.
Samuel Arnoux a insisté sur la vigilance nécessaire :
« Le risque n’est pas la technologie, mais l’appauvrissement des imaginaires si on se contente des solutions qu’on nous vend. » — Samuel Arnoux
Le numérique comme espace politique
L’échange s’est déplacé vers les enjeux de démocratie culturelle. Des participants ont demandé comment garantir que les formes numériques ne se résument pas à un effet d’innovation destiné à une minorité déjà équipée.
Jean Boillot a répondu que la responsabilité des institutions était d’ouvrir des lieux où l’on peut apprendre ensemble :
« Le seul moyen d’éviter l’entre-soi numérique, c’est de créer des situations où tout le monde peut expérimenter, même sans compétences préalables. » — Jean Boillot
Une demande de continuité
En conclusion, plusieurs remarques du public ont souligné un besoin partagé : inscrire le numérique dans une dynamique continue, et non dans une suite d’expériences isolées. Les intervenants ont confirmé que la construction d’une culture numérique passe par la durée — celle des projets, des partenariats, des formations et des relations aux publics.
« Faire du numérique un commun exige du temps, de la régularité et de vraies communautés d’apprentissage. » — Samuel Arnoux
Cet article a été rédigé avec l’appui de l’IAgen, d’après la retranscription textuelle du podcast.

Explorez les contenus produits lors des journées Chaillot Augmenté x Rencontre TMNlab : Art vivant et environnements numériques les 13 et 14 février 2025 : tous les podcasts [écouter], toutes les tables-rondes [écouter], les présentations de l’espace démo [découvrir] !
Cet événement s’est tenu le cadre du Sommet pour l’action sur l’IA.

