Zoom sur la collection Questions de culture du DEPS | Médiation et construction culturelle : observer les évolutions dans une époque numérisée et globalisée

La collection Questions de culture est le fruit du travail du Département des études de la prospective et des statistiques du Ministère de la Culture, dont les ouvrages sont disponibles en librairie, sur commande ou en téléchargement sur Cairn. Ces travaux passionnant viennent éclairer le quotidien des professionnels, remettre en question de empirisme ou confirmer des intuitions.

A l’occasion de la publication de leur dernier ouvrage, L’éducation artistique et culturelle, une utopie à l’épreuve des sciences sociales, nous proposons aujourd’hui une sélection de titres mettant en lumière l’impact de la transformation numérique de notre société sur les pratiques des publics comme les nôtres, sans en faire un sujet central et en évitant toute technophilie. Mais bien en intégrant la dimension sociale et sociétale de cette révolution.

Comment la culture vient aux enfants : repenser les médiations [2021]

Extrait choisi :

Les manières d’appréhender les enfants – différenciées selon la place des producteurs et des intermédiaires de terrain dans la chaîne de cadrages et d’appropriations croisés, mais aussi en partie selon les domaines étudiés, plus ou moins proches du pôle commercial ou légitime – déterminent le type de médiation mise en œuvre. Cela n’empêche pas une porosité entre acteurs institutionnels et acteurs de marché, les procédés employés par les uns pouvant être repris par les autres.

Ainsi, les médiateurs institutionnels ont pour mission de conduire leurs publics vers des contenus et des formes d’appréciation qui sont en partie différents de ceux promus par les industries culturelles et les groupes de pairs. Il leur faut alors convaincre un public né à l’ère numérique, et plus familier des arguments développés par le pôle de production élargie dans une logique d’« excellence démocratique », mesurée à l’aune du succès médiatique et en matière de ventes, que des critères de jugement internes au champ culturel (basés sur l’« excellence artistique » et le succès d’estime ou la rupture avec des codes établis).

Un certain nombre de procédés de médiation apparaissent donc destinés, avant tout, à rendre crédibles les prescriptions institutionnelles, voire à les faire oublier au profit de mécanismes identifiés comme efficaces auprès des enfants et que les industries culturelles sont supposées mieux exploiter. Plusieurs conceptions des manières dont les enfants s’approprient les biens culturels structurent les modalités de médiation mises en œuvre au sein des différents terrains.

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Financement participatif : une voie d’avenir pour la culture ? [2018]

Extrait choisi :

Les plateformes de financement participatif facilitent l’interaction entre entrepreneurs (ou porteurs de projet), qui sont à la recherche de fonds, et contributeurs, qui désirent participer au financement d’entreprises ou de projets artistiques. Une fonction économique existe pour ce genre de plateformes, dites à deux versants, quand les coûts de transaction trop élevés empêchent les deux groupes d’interagir directement par leurs propres forces. Dans ce cas, une plateforme peut organiser l’interaction de manière plus efficace, en jouant un rôle d’intermédiaire.

Alors que les littératures financière et économique ont développé des théories d’intermédiation financière s’appliquant aux banques et aux investisseurs professionnels, elles peinent à expliquer le rôle joué par les plateformes de financement participatif. Par exemple, les fonctions d’intermédiation assurées par les banques concernent la collecte d’information, l’allocation optimale des ressources et la surveillance des emprunteurs. De leur côté, les plateformes de financement participatif ne remplissent aucun de ces rôles, ou du moins pas de la même manière. Leurs fonctions consistent plutôt à minimiser les coûts de transaction et à permettre aux contributeurs de choisir, en toute indépendance, les projets qu’ils veulent soutenir.

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L’amateur cosmopolite : Goût et imaginaires culturels juvéniles à l’ère de la globalisation [2017]

Extraits choisis :

Les œuvres et les produits culturels circulent de manière croissante dans le monde. Game of Thrones est la série qui a battu tous les records d’audience, en direct, en diffusion en flux (streaming) ou en téléchargement. Shakira, chanteuse d’origine colombienne qui fait carrière aux États-Unis, a été l’étendard de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud en 2010 sur un air inspiré des musiques africaines. Naruto est devenu l’un des héros de l’enfance et de l’adolescence des jeunes Français, à côté d’icônes nationales comme Astérix. La chanson Gangnam Style du chanteur coréen Psy (chantée en coréen et assortie de l’esthétique de la pop coréenne) a été téléchargée plus de 2,7 milliards de fois (2016), faisant exploser les compteurs de YouTube, et a connu un succès retentissant auprès de jeunes Français sans aucun lien particulier avec la Corée. […]

Au cours des dernières décennies, les foyers de production culturelle se sont multipliés et les produits et les œuvres culturels ont circulé de manière croissante. […] Sans parler du domaine des grandes œuvres : les panthéons de la littérature, des arts plastiques et de la musique classique se sont ouverts aux artistes de divers horizons géographiques et de diverses traditions culturelles à mesure que le périmètre des productions (re)connues s’élargissait. […] Ce qui contribue à nourrir des imaginaires artistiques transnationaux.

La globalisation des industries culturelles et la circulation croissante des produits et des œuvres, facilitée par la technologie numérique et les réseaux, sont ainsi des facteurs majeurs de l’internationalisation des répertoires de consommations et des imaginaires des jeunes. Aujourd’hui, quel jeune ignore ce qu’est un samouraï, grâce aux nombreux films ou mangas qui mettent en scène cette figure ? Lequel n’a aucune idée de ce à quoi ressemblent les pyramides d’Égypte ? Et, lequel, mettant le pied sur le continent américain pour la première fois, ne sera pas frappé d’un étrange sentiment de déjà-vu ? Quel autre, enfin, n’associe pas la ville de New York à la statue de la Liberté ? Ces exemples suggèrent combien la mise en contact avec des productions et des œuvres culturelles conçues à l’étranger – et retravaillant les imaginaires et les goûts (et dégoûts) culturels – mérite que l’on y prête attention, tant elle modifie le cadre de leur réception et la construction d’une vision du monde.

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Deux pouces et des neurones : Les cultures juvéniles de l’ère médiatique à l’ère numérique [2014]

Extraits choisis :

Leurs pouces se promènent sur leurs écrans tactiles, à une vitesse frénétique. Ils appartiennent à des communautés étranges, communautés d’intérêt mobiles, de films, de musiques, de danses, de connexions partagées. Leur téléphone portable ne leur sert plus seulement (et d’ailleurs presque plus) à téléphoner mais plutôt à consommer des contenus culturels, à échanger et à communiquer par écrit, ils ont inventé des langages vernaculaires qui ont remplacé le verlan… Leurs pouces dansent sur les claviers face à une offre démultipliée : il leur faut choisir, vite, face à une offre qui semble d’une richesse infinie. Étudiants ou travailleurs, en jean, en bleu ou en tailleur, ils construisent des univers culturels fortement identitaires, à géométrie et à temporalité variables. […]

Depuis les années 1960, et avec le passage en régime des industries culturelles médiatiques, puis numériques, un nouveau métier de l’enfance et de la jeunesse émerge, le métier de consommateur culturel, métier doté d’outils, de temporalités, de contraintes et de compétences propres, informationnelles, réflexives, relationnelles, réputationnelles, etc. Le contexte des industries culturelles, de la popularisation par massification de la culture (y compris de certains pans de la culture consacrée via les sorties scolaires au musée ou à la bibliothèque par exemple) puis de la circulation accélérée des contenus a mis en évidence son développement, et ce qu’il provoque de réagencement des espaces de socialisation dans lesquels les jeunes sont enchâssés, famille, école, travail, temps libre institutionnalisé ou non. Ce faisant, il a incité à une reconsidération des âges de la vie, autour de la découverte de la précocité de certains phénomènes ou de leur réversibilité, favorisant le développement d’une sociologie des âges de la vie dans laquelle les phénomènes culturels tiennent une place importante, ainsi qu’une reconsidération des articulations du métier de consommateur culturel avec les autres métiers de l’enfance et, par extension, de la jeunesse.

Le contexte des industries culturelles a incité également à considérer les jeunes comme des ressources pour eux-mêmes et pour la société plutôt que comme des problèmes, à travers une réflexion sur le pouvoir de soi sur soi des enfants, des adolescents et des jeunes, autour du concept d’autonomie. Partiellement corrélatif du retardement de certaines formes d’indépendance, notamment économique, mais également produit de la dynamique propre de la modernité et de l’individualisme, le développement de l’autonomie comme valeur et processus, et l’interpénétration des espaces de socialisation ne sont pas nouvelles : Jean-Claude Chamboredon et Jean Prévot attiraient, dès les années 1970, l’attention sur les capitaux familiaux de l’enfant devenu élève à l’école dans leur analyse du métier d’enfant. De même que les univers culturels permettaient déjà des renégociations du métier de fils ou fille de. Mais leur importance va croissant.

Enfin, les industries culturelles et le développement de l’individualisation des équipements et des usages ont favorisé une nouvelle organisation des formes de capitaux ou de compétences (scolaire, culturel, social, relationnel, informationnel) et des régimes de transférabilité des uns aux autres. La révolution numérique fait passer d’une abondance de biens à une circulation de contenus, d’un régime de savoir à un régime d’information, d’une compréhension analytique à une compréhension additive.

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